Un livre par mois : Jouer sa peau : Asymétrie cachée dans la vie quotidienne

Jouer sa peau c'est prendre des risques et assumer les conséquences. Dans la vie, très peu de personne jouer sa peau aux conséquences importantes.

Je termine encore un livre passionnant et extrêmement complet. Encore une fois il est difficile de faire un résumer tant l’oeuvre est dense. Tout d’abord, un peu d’honnêteté, j’ai acheté ce livre sans connaître l’auteur. J’ai juste entendu que M. Taleb était un auteur provocateur, un ancien trader, adore les statistiques et est philosophe. Je me suis dis ce mec est un slasher ! M. Taleb est un homme de math, de sciences et d’histoire, sa manière de parler et son argumentation, le choix de ses mots sont d’une grande précision.

Dans Deep Work, Cal Newport dit à plusieurs reprises, pour rédiger un papier académique cela nécessite plusieurs années. Si nous prenons pour référence Wikipédia, je vois que M. Taleb a rédigé une quarantaine d’articles techniques et académiques de 2010 à 2018 ! Donc j’ai eu entre les mains un ouvrage d’un auteur féru de travail et très instruit.

Qu’est-ce que « jouer sa peau » ?

Si je te tape cette recherche sur Google, nous apprenons que c’est une expression de prise de risque. Prendre des risques s’est aussi assumer les conséquences. D’ailleurs l’auteur donne les noms et prénoms des personnes qu’il vise. Le sous-titre « asymétrie cachée dans la vie quotidienne » symbolise les injustices qui peuplent nos quotidiens.

En effet, l’une des premières démonstrations du livre commence par le Code d’Hammourabi, gravé dans le basalte à Babylone, il y a près de quatre millénaires. Sa loi la plus connue : « si une maison s’effondre, le maçon qui l’a construite sera mis à mort ». Les chrétiens disaient « oeil pour oeil, dent pour dent ».

L’auteur ne vise pas directement les artisans ou les entrepreneurs – en général ceux-là, sont dans « la vraie vie », car eux, payent de leurs erreurs.

En revanche, il s’en prend aux bureaucrates, les experts, les banquiers, les donneurs d’ordre, les journalistes, les intellectuels – avec mention spéciale pour les « interventionistas » qui ont appelé à la guerre occidentale en Libye et condamnent aujourd’hui l’esclavage massif des migrants qu’elle a provoqué.

Décision et compétence sont liées

Dans une population donnée, où chacun est employé et donc esclave (on le verra plus tard pourquoi) ; cet ensemble est alors invariant. Le fait de risquer sa peau pousse à prendre les bonnes décisions. Et si nous prenons quand même les mauvaises décisions, nous sommes éliminés, ce qui remonte la qualité de l’ensemble.

Selon l’auteur, dans le monde du travail, en découplant décision et conséquence, la modernité met en place la structure pour promouvoir l’incompétence. En effet, plus il y a d’esclave, plus la moyenne est stagnante et l’innovation se meurt. La courbe s’aplanie comme synonyme de la mort sur un électrocardiogramme.

Électrocardiogramme plat

Dans la relation vendeur-acheteur, l’auteur nous met en garde. Ne pas confondre rapport relationnel et rapport transactionnel. Un vendeur, même s’il dit ce qu’il vend est fait pour toi, il aura toujours un intérêt autre que ton bonheur.

L’éthique est toujours plus robuste que le juridique.

Nassim Nicholas Taleb

Le monde d’aujourd’hui possède plus d’esclaves que n’importe quelle époque

Le monde d’aujourd’hui possède plus d’esclaves que n’importe quelle époque

Nassim Nicholas Taleb

En effet, il prend exemple des expat’, ces employés qui partent loin du siège de l’entreprise et donc ont une très grande liberté (une sorte d’affranchie de l’entreprise).

Pour garder le contrôle sur ces personnes, l’entreprise va leur donner un énorme salaire et des avantages colossaux. De sorte que les employés se sentent redevable à l’entreprise ? Oui mais pas seulement. Surtout pour qu’ils aient beaucoup plus à perdre s’ils sont contre les décisions de l’entreprise.

Plus une personne est bien payée plus elle est au service de l’entreprise.

L’auteur dit également que la culture de l’entreprise était le conformisme absolue. Je n’ai jamais connu ça, en revanche, dans cette phrase je me retrouve lorsque j’étais salarié et mon entourage :

Les gens ne sont plus possédés par une entreprise mais par une chose pire encore : l’idée qu’ils doivent être employables.

J’avais déjà exprimé mon avis sur l’employabilité des personnes face à l’intelligence artificielle dans cet article.

Le travail comme souffrance

D’ailleurs dans le bus j’ai entendu cette conversation :

  • Mme X : j’ai vu, il y a un poste de plongeur libre depuis 4 mois, la galère pour le resto qui ne trouve personne !
  • Mme Y : oui en plus c’est payé au SMIC, les chômeurs, s’ils veulent vraiment travailler, ça ne se refuse pas !

Visiblement elles confondent vouloir « travailler » et vouloir de « l’argent ». Etant elles-même esclaves, elles refusent le fait que certaines personnes puissent (vouloir) être libre. Selon elles, le travail est synonyme de souffrance, travailler par plaisir n’existe pas. D’une part, elles ne l’ont jamais vécu, et d’autre part, elles ne pensent pas cela soit vraiment possible. C’est juste une illusion que certains riches y accèdent.

Pourtant partir de sa région, changer d’orientation professionnelle, se mettre à son compte, sont autant d’exemples de prise de risque. Ces personnes qui ont agis ainsi ont risqué leur peau, pour avoir une once de liberté.

La liberté n’est jamais gratuite

On vient de voir que la liberté implique de prendre des risques, de mettre sa peau en jeu. L’auteur va encore un peu plus loin. En effet il fait l’analogie entre le chien docile et domestiqué (les employés), des loups (indépendants qui risquent sa peau tous les jours).

N’en démords pas moins que si tu veux choisir entre être un chien ou un loup, M. Taleb cite une phrase araméenne « l’âne sauvage finit mangé par le lion ». En d’autres termes, cela signifie que la domestication (employabilité que tu as eu depuis tes nombreuses années) fait que tu n’as pas immédiatement la capacité à vivre avec des gros risques.

La liberté est toujours associé à la prise de risques, qu’elle y conduise ou qu’elle en découle.

Pour paraphraser M. Taleb (p146) « La vie d’un chien peut sembler dénuée de problèmes et sûre, mais si son propriétaire n’est plus là, le chien ne survivra pas. » C’est l’une des raisons que l’on adopte des chiots et non des chiens adultes.

Cependant il met au jour une catégorie d’employé qui ne sont pas des chiens ; ce sont ceux dont ils se fichent de leur réputation. Les preneurs de risques sont par définition des personnes imprévisibles.

La disruption dans les entreprises

Non culture du risque

La disruption vient majoritairement de l’extérieur de l’entreprise. Les entreprises ne veulent pas flinguer leur business. Seules certaines comme les GAFA qui donnent justement une grande liberté à ses employé(e)s (liberté qui n’existe pas dans les autres entreprises) et les moyens (temps, argent, compétences) favorisent l’émergence d’idées disruptives.

Les startups trouvent des idées disruptives car elles mettent leur peau en jeu. Une grande entreprise ne veut pas prendre de risque et préfère la stagnation, au même titre qu’une courbe droite d’un électrocardiogramme plat, symbole de la mort, déjà vu plus haut.

Pouvoirs des minorités

Ce n’est pas la majorité qui l’emporte, c’est le plus motivé. Un seul acteur très motivé peut forcer les acteurs peu motivés à le suivre.

Exemple : la disparition du porc dans les cantines scolaires. Les musulmans sont très motivés pour ne pas manger de porc. Les autres, plus nombreux, sont moins motivés pour manger du porc que les musulmans pour ne pas en manger, c’est donc la position musulmane qui l’emporte.

Le seul facteur différenciant est le coût pour le peu motivé : si abandonner le porc augmentait le prix de la cantine, alors il y aurait plus de résistance.

En mathématique, il met en garde sur les effets à faible probabilité mais qui peuvent générer de grandes pertes. Il en a écrit un livre « Le cygne noir« . Je pense que ça sera l’une de mes futures lecture de l’année 2018 !

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