C’est-à-dire de nos jours il est horriblement compliqué de réussir à ne rien faire. Pourtant, quand on y arrive, il faut encore échapper à cette culpabilité molle et ambiante qui gâche souvent le temps du repos totalement improductif.
La frénésie du faire et la norme extravertie
Dans notre société d’extravertis, on ne compte plus les articles sur la créativité, la productivité, l’absolue nécessité d’être chaque jour des producteurs, des makers, des artistes, des artisans, des managers ou des entrepreneurs PRO-DUC-TIFS. Faire, faire, faire ! C’est-à-dire, courir à droite et à gauche, poster une vidéo Youtube par jour. Ou encore, écrire un livre en trois mois, décrocher dix nouveaux contrats par semaine, monter sa boîte, écrire 3 articles par jour…
L’ennui c’est qu’avec le net et la fée électricité, le monde ne s’arrête jamais de tourner. Il n’y a jamais de moments de pause, de temps pour le repos. Si je ne suis pas sur Twitter durant une journée je me dis que je suis passé à coté d’une dizaine d’informations ultra importantes et que demain je vais être largué. On a bien inventé les vacances, mais elles sont de plus en plus courtes et de plus en plus connectées. En plus, on ne les prends plus nécessairement tous en même temps. Pas évident de faire une vraie coupure et d’embrasser le néant de journées vides de tout quand on est sans arrêt dérangés par les notifications du reste du monde encore en train de tourner.
Ça me fait penser à cette merveilleuse intervention de Emilie Wapnick : Pourquoi certains d’entre nous n’ont pas de vocation ?
Mais pourquoi tant de haine envers la procrastination ? De la bonne vieille glandouille et les merveilles d’une simple ballade à pieds en forêt où l’on ne fait RIEN d’autre (ni même de photo Instagram, si, si !) ?
On ne peut plus prendre le temps de recharger les batteries, de réfléchir, de retourner dans sa bulle pour souffler un peu. Chaque journée sans résultat tangible est une journée de perdue ? “Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui?” sonne comme une évaluation sur le bulletin de notes, sévèrement sanctionnée par un “passable, doit se ressaisir”. Vous sentez, la pointe de stress qui se réveille quand on se sent pris en défaut de procrastination, le nez sur Youtube au lieu de finir son projet pour le lendemain ? Quand le boss rentre sans prévenir dans la pièce et qu’on se sait en retard sur son boulot ? Même quand son cher mari ou sa chère femme appelle pour avoir des nouvelles de la mission paperasse ou courses en cours, et qu’on s’est égaré au rayon des jeux vidéos ?
Pourquoi tant de jugements à l’encontre d’une belle journée au coin du feu à lire Boule & Bill, à regarder la TV sans la voir, à faire une sieste qui dure toute l’après-midi ?
Mon petit doigt me dit que la norme extravertie de notre société y est pour beaucoup. Et qu’elle complique la tâche de ceux qui, plus introvertis, apprécient le vide, le calme, le silence, le RIEN. Ou tout simplement la liberté de pouvoir choisir quoi faire sans rien prévoir ou presque. Si, pour certains, la productivité vient du chaos, de l’agitation, du bruit, de la stimulation, d’un programme bien chargé sans temps morts ; pour beaucoup d’autres (souvent plus sensibles, voire hyper-sensibles), elle ne peut exister sans un minimum de solitude et de néant. Quand on a un esprit déjà très actif, on est plus rapidement submergé par les informations sensorielles autour de soi : les ambiances bruyantes, les foules, les grandes réunions… il n’y a pas pire source de stress pour plus d’un tiers de la population dont la vie intérieure est déjà très riche, voire très agitée.
Ma relation fusionnelle avec le “rien”
Il ne s’agit pas de fainéantise. Encore moins de lâcheté ou de peur comme on m’en a accusé (et comme je l’ai cru pendant si longtemps). Il s’agit tout simplement d’une manière d’être et de fonctionner qui s’épanouit dans les environnements calmes, proches de la nature plutôt qu’en ville, dans les relations sociales en petits comités, avec une pression sociale et professionnelle réduite. Tout le monde n’est pas fait pour travailler à Wall Street. En effet, tout le monde n’est pas non plus fait pour passer ses journées dans un atelier de peinture perdu au fond des bois. Tant mieux! Complétons-nous, au lieu de vouloir faire rentrer tout le monde dans le même moule !
Ces jours improductifs sont pour moi des bénédictions
Ainsi, je les passe à regarder la TV, manger des sandwichs, sortir marcher ou faire de la trottinette, jouer avec mon chat, éventuellement faire du yoga, faire un bon feu de cheminée. La plupart du temps seul, ou en couple. Même lire un livre peut me sembler trop envahissant parfois. Ce sont des journées où je ne veux pas entendre de mots, ni avoir à expliquer, parler, échanger, ni même réfléchir à quoi que ce soit. Je ne produis absolument rien, je n’écris rien, je fais presque des efforts pour rejeter toutes les nouvelles idées qui me viennent sans arrêt. “Pas aujourd’hui” !
Ce sont des jours propices à la méditation, à “ressentir” les choses plus qu’à chercher à tout prix à être ou à avoir. Apprécier la chaleur du soleil sur sa peau, l’odeur de la forêt, le bruit de l’eau. Prendre conscience de son propre corps, des sons, des odeurs, des paysages.
Tout cela n’est pas du temps perdu, ce serait plutôt le contraire.
Les temps morts ne sont en fait jamais vides
Ils sont beaucoup plus remplis de sens que bien des moments saturés de choses et de gens. Ces jours improductifs sont nécessaires à notre équilibre et à notre bonne humeur ! On ne peut pas toujours être ouvert, sociable, enjoué, connecté. En tous cas, toutes les personnalités ne peuvent pas l’être. Alors je vous propose d’embrasser vos moments improductifs, vos après-midi perdues, vos dimanches de pluie Netflix, vos nuits blanches passées à discuter sur Internet, vos semaines de vacances oisives, et tous les autres petits moments totalement improductifs partagés avec les autres ou avec soi-même. Le monde serait tellement plus beau si chacun s’autorisait à ne rien faire plus souvent !